J'ai mangé des fleurs dans la Somme
Les fleurs se consommaient dès l'Antiquité. Je connais depuis toujours le miel de lavande, l'eau de fleur d'oranger ou le beignet de fleurs de courgettes
Mais, à chaque fois, les fleurs décorent les plats et ajoutent au goût. Lorsque mon interlocutrice m'a parlé d'un restaurant dont les plats sont des fleurs, des herbes et aussi des racines, je ne voyais pas très bien le résultat, surtout pour les racines. Rendez-vous fut pris et j'arrivais ce jour là à la gare d'Amiens, par une journée radieuse, car tout avait été très bien organisé.
Discussion à bâtons rompus dans la voiture pour m'expliquer que Ludovic Dupont, Chef de la Table du Jardinier, est passionné par la cuisine de fleurs, qu'il veut remettre au goût du jour la cuisine d'autrefois, réinterpréter les saveurs oubliées, réhabiliter les plantes qui ennuient les jardiniers. Il propose une cuisine botanique, à base de fleurs et d'herbes du jardin et il fait tout naturellement son marché, dans les jardins de l'Abbaye de Valloires jouxtant le restaurant.
Les Jardins de Valloires sont nés en 1987 par une conjonction heureuse : le projet de Gilles Clément, architecte paysager renommé, un pépiniériste audacieux, Jean-Louis Cousin, qui cherchait un lieu pour faire connaître sa collection et l'accompagnement du Syndicat Mixte Baie de Somme-Grand Littoral Picard. L'Abbaye cistercienne de Valloires date du XIIe siècle, à cette époque les jardins à la française n'existaient pas, et Gilles Clément a voulu intégrer la collection botanique au coeur de la nature, sans la contraindre. Jardin des Îles, Jardin des Sens, Jardin Régulier, Jardin des Marais et Jardin de l'Evolution composent les cinq univers, et Valloires a été classé "Jardin Remarquable" par le Ministère de la Culture en 2004.
Nous sommes accueillies par le Chef en personne qui, son fidèle panier en osier à la main, nous propose immédiatement la visite des jardins. Nous le suivons vers un des endroits qui me semblait, au premier abord, un peu abandonné : "Je donne une nouvelle vie à ce que j'appelle les "bonnes mauvaises herbes", vous savez, tout ce qui pousse entre les légumes et que les jardiniers arrachent habituellement. Au départ, j'ai commencé par les fleurs, puis peu à peu, j'ai additionné la verdure et les racines, pour remettre au goût du jour la cuisine d'autrefois, parce que dans le temps, ces plantes étaient consommées. Par exemple, le galinsoga est un légume qui fait partie du plat national colombien, là-bas on l'achète, ici on l'arrache. Et la Renouée des Bois ou la Cirse du Potager, qui est excellente en salade."
Nous sommes sur le chemin, Ludovic Dupont nous indique à chaque fois des plantes différentes d'un geste de la main, en ramasse certaines qu'il empile pêle mêle dans son panier, revient sur ses pas pour comparer les herbes, puis nous précise que nous allons commencer le repas avec une soupe de capucines et un cake aux orties, ce qui me rassure, car je fais la différence entre une soupe et un cake. Je retiens également que les herbes donnent du goût et les fleurs égayent les plats.
Nous avons changé de jardin, et il y a toujours autant d'herbes entre les légumes. "Au début, lorsque j'élabore un plat, je commence par mettre peu d'herbes, pour marier les goûts peu à peu ; j'aime bien travailler les plantes montées, par exemple, dans le crumble, les orties montées remplacent la farine. Et au niveau des couleurs, c'est beau. Je remplace aussi les champignons par des herbes, l'épierre, qui colore les légumes lorsque je les fais cuire. En ce moment, je suis dans les violets."
Ludovic Dupont entreprend de nous expliquer les correspondances de goûts : "La benoîte urbaine remplace le clou de girofle, le lierre terrestre a le même goût que la menthe, le laurier est plus poivré que l'ortie et comme nous n'avons pas d'agrumes en Picardie, nous l'avons remplacée par la Berce : quand elle n'est pas en fleurs, on utilise la racine et la tige, une fois qu'elle est en graine, on met le fruit pour accompagner le canard, à la place de l'orange. L'Ail des Ours remplace l'ail, sans en avoir les inconvénients et il faut faire attention à la feuille de muguet qui est toxique. L'Aspérule, une fois séchée, a le goût de vanille et d'amandes et on peut réaliser une crèpe florale au sirop de violette ou de rose qu'on additionne à une pâte à crèpes classique, on dessine alors dans la pâte à crèpes... j'ai eu envie d'avoir un panel botanique élargi. Il faut se réconcilier avec les bonnes mauvaises herbes du temps passé, parce qu'elles ont beaucoup à nous apporter."
Nous revenons vers le restaurant et Ludovic Dupont nous explique son secret et sa passion : "J'adore le moment de la cueillette, depuis toujours. Et la cueillette se fait avec le nez. Je cueille le matin vers 8h, seul, en osmose avec l'environnement, et c'est à ce moment là, lorsque les herbes sont encore humides de la rosée du matin que l'inspiration me vient. J'aborde la cuisine comme un alchimiste, en assortissant les goûts pour qu'ils se rejoignent et surprennent. Cette approche offre des possibilités de décliner les plats à l'infini. Tout est question de mélange..."
Installées à table sur la terrasse, après un heure dans les jardins, nous dégustons l'apéritif avec des feuilles de Sedum en chips végétales et du fromage blanc ; la suite du repas, un régal de couleurs et de saveurs ; difficile d'imaginer le lien entre la randonnée matinale champêtre dans les herbes folles et ce que nous étions en train de déguster, si on n'y ajoute pas un vrai talent.
par Isabelle Brigout
La Table du Jardinier, Abbaye de Valloires 80120 Argoules, tél = +33 322 235 355
Agence de Développement et de Réservations Touristiques de la Somme
Photos ©ADRT de la Somme et ©Isabelle Brigout
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